Devenir parent, choisir une carrière ou changer de religion sont des expériences à part dans l'existence humaine : elles transforment radicalement celui qui les fait. On parle ainsi d'expérience transformatrice pour désigner une expérience qui transforme un individu, autant épistémiquement, au sens où il acquiert un savoir qu'il n'aurait pas pu obtenir sans elle, que personnellement, dans la mesure où ses préférences, ses objectifs, sa manière de se repérer dans le monde se voient modifiés de manière essentielle (L.A. Paul, 2014 ; Chan, 2023). Si de telles expériences ont une charge émotionnelle forte, est-ce qu'éprouver certaines émotions peut être qualifié d'expérience transformatrice ? Certaines émotions constituent des candidats pertinents pour apporter une réponse positive : le mépris (Mason, 2003 ; Jaffro 2024), le dégoût (Kahan, 2000), le deuil (Markovic, 2022) ou la joie (Heywood, 2005). Une autre semble également fournir une réponse positive : il s'agit du fait d'être ému. Caractérisée par son lien à une valeur fondamentale (Cova & Deonna, 2014), ou à une valeur importante dont on saisit la bonté (Deonna, 2020), l'émotion s'approcherait d'une expérience transformatrice quand cette importance est découverte plutôt que reconnue (Lepine, 2016). Mais une telle description peut laisser sceptique : de même que ce n'est pas le deuil qui nous transforme, mais la perte du proche, ce n'est pas l'émotion en tant que telle qui nous transforme, mais l'évènement qui la suscite. Pour autant, être ému pourrait tout de même intervenir dans ce type d'expérience. En effet, un problème se pose au niveau de la motivation à s'engager dans une expérience transformatrice : comment accepter de faire une expérience dont on ne connaît rien et dont on ne peut pas le résultat (Aumann, 2022 ; Chan, 2023) ? Si, en étant ému par quelque chose, je découvre l'importance fondamentale qu'elle revêt pour moi, alors l'émotion pourrait résoudre le problème de la motivation.