Suivant le relationnisme moral, on considère que le statut moral d'une entité dépend de nos interactions et relations sociales avec elle plutôt que de sa nature ou de ses propriétés. Cette conception peut être défendue pour attribuer un statut moral aux robots sociaux. Toutefois, si on veut éviter une attribution subjective et dévaluée, il convient de la subordonner à une évaluation de l'interaction.
Conformément à l'analyse standard, une interaction sociale authentique doit impliquer de l'intentionnalité. Une difficulté surgit avec l'interaction humain-robot du fait qu'elle est mi-fictionnelle (on simule, on fait comme si, sans y croire) et mi-sérieuse (l'interaction se produit dans un environnement physique, social et culturel réel) : elle a le caractère d'une « fiction autoritaire », comme les fictions juridiques. S'agit-il d'une interaction authentique ? Tout dépend alors du statut de l'intentionnalité.
Une approche perspectiviste donc antiréaliste de l'intentionnalité, inspirée de la stratégie de l'interprète de Dennett, permet d'aligner au moins certaines des interactions (mi-fictionnelles) humain-robot sur les interactions (sérieuses) humain-humain : les premières ne sont pas moins authentiques que les secondes puisque dans les deux cas l'intentionnalité peut être projetée par l'observateur-interprète, indépendamment de la nature des entités et préalablement à la projection d'intentionnalité sur les entités elles-mêmes.
Selon cette stratégie, l'intentionnalité n'est pas attribuée gratuitement mais conformément à certains critères normatifs rationnels, épistémiques, heuristiques ou autres. Il est ainsi possible d'être antiréaliste au sujet de l'intentionnalité sans pour autant être subjectiviste ou relativiste. Or parmi les normes qui viennent contribuer à qualifier l'interaction, on peut naturellement inclure des normes éthiques. L'approche centrée sur l'interaction, et plus généralement sur les relations entretenues entre entités, s'étend alors aisément de l'attribution d'intentionnalité à celle d'un statut moral, tout en accommodant les situations, complexes par leur mélange de fiction et de sérieux, de l'interaction humain-robot.
Références
Coeckelbergh, M. (2014). The Moral Standing of Machines: Towards a Relational and Non-Cartesian Moral Hermeneutics. Philosophy and Technology 27(1), 61–77.
Dennett, D. (1990). La stratégie de l'interprète, Paris, Gallimard (The Intentional Stance, The MIT Press, Cambridge, Mass., 1987).
Gunkel, D.J. (2022). The Relational Turn: Thinking Robots Otherwise. In J. Loh & W. Loh (eds.), Social Robotics and the Good Life. Transcript Verlag, 54-76.
Rebuschi, M. (2022). Drôles d'objets ou drôles d'interactions ? Actes de Drôles d'objets: un nouvel art de faire, Oct 2021, La Rochelle, France. [doi : 10.5281/zenodo.6059665]