L'espèce, au sens biologique du terme, a longtemps été et reste encore dans une certaine mesure l'unité de conservation en matière de protection de la nature : l'approche dominante consiste à protéger des individus, une population ou un habitat non pas pour eux-mêmes mais en vue de protéger l'espèce qu'ils constituent ou abritent. Cette prééminence de l'espèce trouve un écho en éthique environnementale dans la thèse de la valeur intrinsèque de l'espèce (Johnson 1991, Rolston 1994) : chaque espèce a une valeur intrinsèque qui ne se réduit pas à la valeur d'utilité qu'elle peut avoir par ailleurs pour nous ni même à la valeur d'existence que peuvent lui conférer nos préférences. Le défi est alors d'expliquer en quoi consiste cette valeur et en vertu de quoi elle est conférée. Je me propose ici d'expliquer et de fonder la valeur intrinsèque de l'espèce à partir de la valeur intrinsèque de la biodiversité mise en avant par la biologie de la conservation (Soulé 1985) et certains textes légaux (CDB 1992) à compter des années 1980-1990. Selon cette conception, la diversité en gènes, espèces ou écosystèmes d'une aire, d'un habitat ou d'un écosystème donné est un état de choses désirable en soi, indépendamment des services qu'elle peut nous rendre. Je tâcherai de montrer que la valeur intrinsèque de la biodiversité implique certaines conséquences concernant la valeur intrinsèque des espèces : (i) Inégalitarisme de la valeur intrinsèque : les espèces n'ont pas toutes la même valeur car elles contribuent différemment à la diversité biologique ; (ii) cette valeur contributive constitue néanmoins une valeur intrinsèque au sens d'une valeur finale ou non instrumentale ; (iii) La valeur de diversité d'une espèce repose sur certaines de ses propriétés relationnelles et donc non intrinsèques.
Baum, S. D., & Owe, A. (2024). “On the intrinsic value of diversity”, Inquiry, pp. 1–25.
Johnson, L. (1991). A morally deep world, Cambridge University Press.
Rolston III, H. (1994). Values in nature and the nature of values, in Attfield R. & Belsey A. (eds), Philosophy and natural environment, Cambridge University Press, pp. 13-30
Sandler R. L. (2012). The ethics of species, Cambridge University Press.
Soulé M. E. (1985). “What is Conservation Biology ?”, BioScience, 35/11, pp. 727-734.
Thuiller W., Maiorano L., Mazel F., Guilhaumon F., Ficetola G. F., Lavergne S., Renaud J., Roquet C. & Mouillot D. (2015) Conserving the functional and phylogenetic trees of life of European tetrapods, Philosophical Transactions of the Royal Society, 370/1662, pp. 1-12.