La posture du méfiant
On distingue généralement la méfiance de la peur par des genèses distinctes : la méfiance, contrairement à la peur, serait motivée par une forme de raisonnement. Tout tacite qu'il puisse être, celui-ci serait explicité si l'on demandait au sujet qui se méfie pourquoi il se méfie. Par exemple, si je me méfie de Bernard, et qu'on me demande pourquoi, je peux justifier ma méfiance par le raisonnement suivant : « Je pense que Bernard va me causer du tort parce qu'il est violent. »
Il faut cependant remarquer que, si Bernard me cause effectivement du tort, je ne me contenterai pas de le subir en me félicitant de ma prédiction : est caractéristique de la méfiance une tendance à éprouver, au cas où un tort est effectivement subi, une attitude réactive qui manifeste qu'on tient son auteur pour responsable et coupable (Strawson 1974, Hawley 2014).
La méfiance consisterait donc à anticiper un tort en fonction d'un raisonnement prédictif, tout en tenant l'objet de cette prédiction pour coupable du tort anticipé. Cette attitude paraît paradoxale, sauf à adopter l'hypothèse d'un compatibilisme naturel, selon laquelle nous ne serions pas préoccupés, dans nos vies ordinaires, par la charge que le déterminisme pourrait faire peser sur la responsabilité morale.
Nous nous proposons d'expliquer la méfiance sans recourir à cette hypothèse, en montrant que, plutôt qu'une attitude fondée par une forme de raisonnement, la méfiance est de la peur assortie d'une justification, visant à préparer une accusation. Ainsi, quand je me méfie de Bernard, je ne pense pas qu'il va me causer du tort parce qu'il est violent, mais qu'il va me causer du tort parce qu'il est violent : je ne cherche pas à expliquer les actions futures de Bernard, mais à attribuer à Bernard l'objet de ma peur.
Bibliographie indicative
Strawson, Peter Frederick. 1974. Freedom and resentment, and other essays. Londres : Methuen.
Hawley, Katherine. 2014. « Trust, Distrust and Commitment ». Noûs 48(1): 1-20. 10.1111/nous.12000
- Poster