La science économique joue aujourd'hui un rôle important dans le choix, la conception et l'orientation des politiques publiques.
L'objectif de la présente contribution est d'interroger la légitimité politique de cette ambition prescriptive de la science économique. Son autorité épistémique relative lui confère-t-elle la légitimité politique requise pour orienter (dans le cas d'instances consultatives comme le Conseil d'analyse économique) voire déterminer (dans le cas d'instances décisionnelles comme la Banque centrale européenne) l'action publique en matière de politiques économiques ?
C'est ce que l'on essaiera d'établir, en discutant la critique influente proposée par David Estlund d'un tel raisonnement – qu'il qualifie de « sophisme expert / chef1 ». On cherchera à montrer que si la première ne peut certes pas être rabattue sans plus de justification sur la seconde, il est néanmoins possible d'identifier certaines conditions sous lesquelles la légitimité à orienter voire déterminer des décisions de politique économique peut être dérivée d'une autorité scientifique dans le domaine de l'analyse économique.
On défendra l'idée que ces conditions sont de nature institutionnelle plutôt qu'épistémologique. Ainsi, ce ne sont pas les manques supposés de fiabilité ou de neutralité de la science économique qui menacent en tant que tels de l'empêcher de tirer une légitimité politique de son autorité épistémique, mais plutôt le manque d'institutions susceptibles de permettre un contrôle démocratique des incertitudes et biais potentiels en son sein.
En particulier, deux conditions semblent nécessaires pour satisfaire cette exigence : en premier lieu, les économistes présents dans les instances d'expertise doivent pouvoir expliciter publiquement les enjeux normatifs des décisions prises ainsi que les débats éventuels ayant précédé celles-ci ; en second lieu, ces décisions doivent pouvoir être contestées, dans le cas où la première condition est suspectée de n'avoir pas été suffisamment respectée.
1D. Estlund, L'Autorité de la démocratie. Une perspective philosophique, Y. Meinard (trad.), Paris, Hermann, 2011, p. 79