Comment se fait-il que les textes de fiction aient une signification s'il n'y a rien dont ils parlent ? Une réponse intuitive est que la fiction ne sert pas à décrire véritablement des individus et des situations, mais seulement à faire semblant que des individus et des situations sont décrits. S'engager dans la fiction suppose, par exemple, de faire comme si "Holmes" était le nom d'un détective de chair et d'os – même si on sait qu'il n'en est rien. Cependant, cette thèse simulationniste (défendue notamment par Searle 1975, Kripke 2013, Walton 1990) ne nous dit pas ce qu'implique l'activité de simulation au niveau sémantique : faire comme si un nom fictionnel était un nom réel, en quoi cela consiste-t-il ? Comment se construit le sens à l'intérieur du jeu de simulation ?
Je tenterai de répondre à ces questions en utilisant les notions kaplaniennes de contexte et de context-shift. Dans le modèle de Kaplan (1977), l'interprétation sémantique d'un énoncé particulier est une fonction prenant pour arguments une phrase et un contexte d'énonciation, lui-même représenté comme un ensemble de paramètres {agent, temps, lieu, monde possible}. Ainsi, comprendre ce qui est dit par un énoncé comme "Je suis fatigué aujourd'hui" suppose de connaitre certains faits concernant sa situation de production (qui parle, quand). Je défendrai l'idée que l'interprétation sémantique d'un énoncé fictionnel requiert de substituer au contexte réel d'énonciation un contexte imaginaire : ainsi les récits de Sherlock Holmes doivent-ils être interprétés relativement à un contexte où c'est Watson et non Doyle qui écrit, et où il y a quelqu'un qui s'appelle "Holmes". De l'autre côté – et c'est là tout l'intérêt des jeux de fiction linguistiques –, le contexte imaginaire a ceci de particulier qu'il ne nous est pas accessible par des moyens extralinguistiques, et que nous devons le construire à partir du texte lui-même.
Références :
- Kaplan, David (1977[1989]). "Demonstratives", in Joseph Almog, John Perry, and Howard Wettstein (eds.), Themes From Kaplan, Oxford & New York, Oxford University Press.
- Kripke, Saul (2013). Reference and Existence, Oxford, Oxford University Press.
- Searle, John R. (1975), "The Logical Status of Fictional Discourse", New Literary History, 6(2), p. 319-332.
- Walton, Kendall (1990). Mimesis as Make-Believe: On the Foundation of the Representational Arts, Cambridge, Harverd University Press.