30 juin-2 juil. 2025 Nantes (France)

Par auteur > Blondel Matthias

Regard sur la philosophie de l'humour
Matthias Blondel  1@  , Laurent Jaffro  1@  , Constant Bonard  2@  , Samar Haidar  3@  
1 : Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne - UMR 8103
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Centre National de la Recherche Scientifique
2 : Institut Jean Nicod
Ecole Normale Supérieure de Paris - ENS Paris, institut jean nicod
3 : Université de Genève = University of Geneva

On se propose de faire bénéficier la philosophie de l'humour du regard de la philosophie des émotions. Si diverses choses peuvent faire rire, il n'est pas aisé de déceler pourquoi elles font rire, ni quel pourrait en être le point commun. Les différents traits d'humour visent-il le déclenchement d'une même émotion, comme l'amusement ? Quels sont les critères qui rendent cette émotion appropriée ? Comment se distingue-t-elle d'autres phénomènes affectifs voisins ? Quels sont les traits d'une conduite ou d'une attitude qui sont risibles ? Nous nous proposons d'explorer ces différentes questions au cours d'un symposium de trois heures. On s'intéressera à la nature de l'humour et du rire, aux normes et valeurs qu'ils impliquent, et de voir ce qui constitue leur unité, en les comparant à d'autres émotions.

 

L'unité affective du rire, Constant Bonard 

 

Le rire est-il le signe d'un état psychologique unifié ou exprime-t-il une variété d'états ? On l'associe typiquement à l'amusement mais il exprime aussi l'embarras, la nervosité ou une réaction désagréable aux chatouilles. Et parmi les affects positifs, plusieurs émotions sont aussi exprimées par le rire, comme la joie ou le soulagement (Poyatos 2002). La plupart des spécialistes ont ainsi supposé que le rire n'est pas un phénomène unifié.

Pourtant, certains ont tenté de l'expliquer de manière uniforme. Panksepp et Burgdorf (2003), se basant notamment sur l'observation du rire chez d'autres animaux, suggèrent que le rire serait un signal indiquant que l'interaction reste ludique et non menaçante. Prinz (2004) propose que le rire, dans tous les cas, découle d'un mélange d'émotions : une légère peur couplée à une interaction plaisante avec nos proches.

Cette contribution explore également l'unité affective du rire. L'hypothèse est que le rire est causé par une évaluation inconsciente de la situation (appraisal) qui peut être approximativement décrite comme cela : Ça titille étonnamment nos limites mais ça ne les dépasse pas, n'est-ce pas? Il s'agira de montrer que cette évaluation est plausiblement commune aux différents affects déclenchant le rire, qu'ils soient positifs ou négatifs.

 

Références 

Panksepp, Jaak, and Jeff Burgdorf. 2003. “‘Laughing' Rats and the Evolutionary Antecedents of Human Joy?” Physiology & Behavior

Poyatos, Fernando. 2002. Nonverbal Communication across Disciplines: Volume 2, Paralanguage, Kinesics, Silence, Personal and Environmental Interaction. London: John Benjamins Publishing.

Prinz, Jesse. 2004. Gut Reactions: A Perceptual Theory of the Emotions. Oxford: Oxford University Press.

 

Une théorie néo-sentimentaliste de l'humour, Samar Haidar

 

Qu'est-ce que l'humour ? L'humour est aussi familier qu'il est indéfinissable (Morreall, 2020). Pour surmonter les difficultés méthodologiques que son analyse pose, je m'appuie sur les méthodes du néo-sentimentalisme (D'Arms & Jacobson, 2023; Deonna & Teroni, 2021). En effet, le comique étant une valeur sentimentale, il est possible de le comprendre en faisant appel à l'émotion qui le constitue, à savoir l'amusement. Mon enquête montre que l'amusement est fondamentalement une émotion épistémique, propice à l'acquisition de connaissances à l'échelle individuelle et collective. La littérature empirique et philosophique donne en effet à penser que l'amusement permet d'appréhender une propriété agentielle négative, la faillibilité, de manière positive, sous « l'aspect du bien ». C'est cette cohabitation particulière entre le bon et le mauvais pour l'agent épistémique qui constitue l'essence de l'humour. Ce « bien » peut en cacher plusieurs, c'est-à-dire qu'il peut s'agir d'un bien personnel, au sens de ce qui est bon pour l'individu, ou impersonnel, c'est à dire bon tout court (voir Strawson, 1962). La distinction permet de réduire l'hétérogénéité perçue de nos pratiques humoristiques, qui vont de la moquerie à la taquinerie bienveillante, en passant par le calembour inoffensif. Cette théorie a une grande puissance explicative, puisqu'elle permet d'unifier les principales théories de l'humour (incongruité, supériorité, soulagement, jeu...) sous un même concept, tout en éclairant leurs relations logiques.

 

La pluralité des valeurs de l'amusement, Matthias Blondel 

 

L'amusement a comme toute émotion un lien important avec une valeur (Deonna et Teroni, 2012), et que l'on nomme le comique ou l'amusant. Pourtant, quelque chose peut amuser sans être perçu comme comique, mais plutôt risible ou ridicule. Un problème important semble alors se dessiner : le comique et le ridicule ne peuvent pas relever du même type de valeur en un sens épais, car ils ne renvoient pas au même type de valeur en un sens fin (Willliams, 1990). En effet, l'un semble renvoyer à une valeur positive tandis que l'autre se comprend comme une valeur négative. L'amusement paraît donc renvoyer à au moins deux valeurs différentes, ce qui menace son unité en tant qu'émotion : quelles pourraient être les normes de correction de l'amusement s'il peut porter sur deux valeurs opposées ? Nous nous demanderons donc comment comprendre le lien entre l'amusement et ces deux valeurs. Il s'agira de montrer que, malgré leur disparité, celles-ci relèvent bien de la même émotion, et peuvent être comprises sans menacer l'unité de l'amusement, étant donné qu'elles renvoient toujours à une manière de faire de l'humour.

 

Comment passer du méprisable au ridicule ? Laurent Jaffro

 

Au-delà de l'expression possible du mépris par le ricanement, certains rires peuvent être perçus comme méprisants. Plus généralement, la moquerie qui cible le ridicule peut être rapprochée du mépris. Pour éclairer et discuter la proximité entre la moquerie et le mépris, on se propose de comparer les bases du ridicule et les bases du méprisable, c'est-à-dire les deux ensembles de traits qui confèrent à un objet, respectivement, la valeur du ridicule et la valeur du méprisable. Trois thèses sont défendues : (1) Il y a une intersection entre ces deux bases qui consiste en des traits formels de l'agentivité défaillante manifestée par l'objet. (2) Les vices sérieux qui contribuent à rendre le mépris épistémiquement correct sont absents de la base du ridicule. (3) Ce n'est pas seulement que (1) et (2) éclairent le rapprochement, mais ces faits expliquent aussi pourquoi la moquerie n'est pas nécessairement condescendante et pourquoi le regard se détourne du méprisable alors qu'il se complaît dans le spectacle du ridicule.

 

Références 

Bell, M. (2013). Hard Feelings: The Moral Psychology of Contempt.

Bergson, H. (1900). Le Rire.

Jaffro, L. (2024), Contempt and Invisibilization.


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