30 juin-2 juil. 2025 Nantes (France)

Par auteur > Schuppert Guillaume

Philosophie de l'art 2.0
Vincent Granata  1@  , Guillaume Schuppert, Alexandre Declos, Enrico Terrone@
1 : Nantes Université - UFR Lettres et Langages
Nantes Université

Ce symposium porte sur les intelligences artificielles génératives (ChatGPT, Midjourney, DALL-E, Sora, etc.) et le renouvellement qu'elles apportent aux problèmes de la philosophie de l'art. Les produits de ces IA sont capables d'un grand réalisme autant que de traits stylistiques marqués, qualités obtenues facilement par un contrôle limité et itératif des utilisateurs. Les communications étudient l'impact de ces nouveautés sur l'ontologie de l'œuvre, l'épistémologie de la réception et l'esthétique de la création.

Ontologie des œuvres musicales génératives – V. Granata

De façon générale, une œuvre musicale se définit selon un critère de répétabilité : l'œuvre est censée persister et être identifiée à travers la multiplicité de ses répétitions ou instanciations (Dodd, 2008). La musique générative, elle, repose sur un processus capable d'engendrer de multiples variations à partir d'un système échappant au contrôle direct de l'artiste (ensemble de règles prédéfinies, programme informatique, etc). Aujourd'hui, l'intelligence artificielle permet de générer des morceaux de musique en quelques secondes à partir d'algorithmes d'apprentissage automatiques et de banques de sons préenregistrées. L'usage de tels modèles a ainsi permis à certains compositeurs de concevoir des « œuvres » générant des produits sonores à la variabilité potentiellement infinie et imprévisible (cf « Bloom » de Brian Eno ; « EōN » de Jean-Michel Jarre). Mais ces compositeurs ont-il vraiment créé des œuvres musicales ? L'absence de partition ou d'enregistrement « source » ainsi que la variabilité des produits sonores ne contreviennent-elles pas avec le principe même de répétabilité censé être inhérent aux œuvres ?

Je chercherai à évaluer la pertinence des options ontologiques existant dans la littérature analytique (Kania, 2008; Davies, 2020) pour comprendre la nature de ces objets musicaux. Une attention particulière sera accordée à l'ontologie du jazz, centrée sur la notion d'improvisation, ainsi qu'à l'ontologie des musiques électroniques, centrée sur la notion de remix (Wiltsher, 2016). Il s'agira de voir dans quelle mesure le cas étudié peut entrer dans l'une ou l'autre de ces catégories.

Midjourney et le problème de la création paresseuse – A. Declos

Les récents programmes d'« intelligence artificielle » (IA) comme Midjourney, permettent de générer une grande variété d'images en quelques clics. Certaines de ces créations sont d'ores et déjà exposées, vendues ou récompensées en tant qu'œuvres d'art. Si certains refusent de leur attribuer un statut artistique, une position sceptique plus modérée reconnaît que ces images peuvent être considérées comme de l'art, mais affirme que leur mode de production réduit leur valeur artistique. Selon une version de cette thèse sceptique, l'art généré par IA aurait une moindre valeur, car le processus de génération et les propriétés du produit fini échapperaient en grande partie au contrôle intentionnel de l'artiste. Une autre version affirme qu'une œuvre générée par IA n'est pas un véritable accomplissement, dans la mesure où la difficulté et l'effort sont des composants essentiels des accomplissements, et où générer une image via IA n'exigerait ni l'un ni l'autre (Steinert 2023).

Dans cette communication, je souhaite réfuter ce type d'objection à l'encontre de l'art généré par IA. Je défendrai qu'il n'existe aucune raison de principe de croire que ce dernier implique nécessairement moins de contrôle ou d'effort, ou qu'il devrait être considéré comme un accomplissement moindre. Au contraire, la création à l'aide de l'IA soulève des défis spécifiques, qui nécessitent d'affronter les résistances propres à ce médium (Young & Terrone, 2024). Je chercherai également à montrer que ces réflexions invitent à considérer les œuvres générées par IA moins comme des produits finis (les images) mais comme le processus d'interaction entre l'artiste et le programme (Cross 2024).

Transparence photographique et IA – G. Schuppert

Depuis les années 80, l'épistémologie de la photographie s'est largement structurée autour (du rejet ou de l'acception) de l'idée de transparence. Pour Walton (1984), les objets transparents permettent de voir à travers eux, en raison d'une dépendance contrefactuelle naturelle, plutôt qu'intentionnelle, à ce qu'ils représentent. Les photographies sont en cela plus proches des télescopes que des peintures. Quid des « photographies » générées par IA : sont-elles également transparentes ?

Dans cette intervention, j'étudie les arguments de deux positions radicales. L'une avance que ces photographies présentent également une dépendance contrefactuelle naturelle à l'objet dépeint (Magnus 2023). L'autre avance au contraire que la transparence de toutes les photographies, non seulement celles générées par IA, est compromise par ces technologies (Walton 2015, Rini 2020).

Art et IA: la revanche des connaisseurs – E. Terrone

Epstein et al. (2023) ont suggéré qu'un des avantages des systèmes d'IA génératifs est qu'ils abaissent les barrières à la création artistique. Les personnes qui ne maîtrisent pas, par exemple, la peinture peuvent utiliser Midjourney ou DALL-E 3 pour produire des images qui ressemblent à des peintures. Cependant, alors que des utilisateurs relativement novices peuvent produire des images qui imitent le style de peintres célèbres, nous soutenons que la création artistique réussie par l'IA repose sur le développement de la même sensibilité perceptive qui permet aux critiques d'art d'identifier et d'évaluer les qualités esthétiques subtiles. Selon Sibley (1965), les qualités esthétiques ne peuvent pas être directement déduites de paramètres simples et non esthétiques comme l'épaisseur des lignes ou les agencements de couleurs mais seulement perçues par une sensibilité entraînée. Cela signifie que reconnaître des effets esthétiques subtils implique plus que de savoir comment utiliser un outil : cela implique de développer la vision aiguë que possèdent généralement les critiques et les historiens de l'art. Donc, créer une œuvre d'art avec l'IA n'est pas une question d'appuyer sur des boutons, mais de développer l'œil entraîné d'un connaisseur. Au lieu de s'appuyer sur des règles prédéfinies ou des formules stylistiques fixes, les utilisateurs perçoivent, comparent et évaluent comment diverses « prompts » affectent les résultats du système. Ce faisant, ils identifient les conditions dans lesquelles les qualités esthétiques émergent et ajustent ces conditions par une expérimentation itérative guidée par la perception. De cette façon, la sensibilité perceptive et la compréhension historique permettent la réalisation de la valeur esthétique dans les œuvres générées par l'IA. Selon un stéréotype tristement célèbre, le critique d'art est considéré comme un artiste raté. L'IA générative renverse le stéréotype, transformant l'artiste en un critique d'art à succès.



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