30 juin-2 juil. 2025 Nantes (France)

Par auteur > Isabelle Pariente-Butterlin

La responsabilité propositionnelle, révélatrice de la structure causale de l'agentivité
Pariente-Butterlin Isabelle  1@  
1 : UFR ALLSH
UFR ALLSH

 On a de bonnes raisons de considérer que nous nous devons toujours quelque chose les uns aux autres. Il serait sous cette hypothèse impossible, de saisir l'apparition de la responsabilité, puisqu'elle serait toujours déjà au moins présente dans la relation entre des agents moraux, voire constituante de la relation éthique en elle-même (Scanlon 1998). C'est là un premier sens de la responsabilité à l'égard de l'autre et en ce sens, elle n'est pas une responsabilité propositionnelle : être responsable d'un enfant, par exemple, n'est pas une responsabilité propositionnelle. Elle relève de la compréhension globalement éthique du monde.

Nous prendrons ici en compte la responsabilité dans sa dimension propositionnelle (Zagzebski 2001) pour défendre l'hypothèse selon laquelle la détermination de ce que nous nous devons dans le cadre défini de la promesse, et la détermination de l'état de chose dont nous sommes responsable dans ce cas, permettent d'éclairer la structure causale de l'agentivité. Nous proposons de faire de l'analyse de la promesse et des limites qu'elle dessine à la responsabilité de l'agent un test pour choisir entre deux conceptions de l'agentivité, à savoir d'une part l'agentivité conçue comme initiative et d'autre part l'agentivité conçue comme guidage (Setyia 2007). Nous trancherons en faveur de cette dernière.

Inscrire l'analyse de l'agentivité dans le cadre déterminé par la promesse permet de saisir la responsabilité propositionnelle en la liant à une obligation explicitement formulée. Une responsabilité est propositionnelle si la situation est telle que nous pouvons dire dans cette situation de quoi l'agent se trouve être responsable et pas seulement que l'agent est responsable. La promesse peut de la sorte être conçue comme un fait brut (Fahrbach, 2005 ; Heil, 2018) initiant une responsabilité propositionnelle dans les interactions entre les agents. Dans le cadre de cette responsabilité propositionnelle, la question sera donc de déterminer de quoi l'agent peut être tenu pour responsable, et la réponse à cette question permettra de clarifier la conception de l'agentivité à laquelle elle est adossée car nous montrerons que cette réponse repose toujours sur une conception de l'agentivité.

En effet, dans le cadre de la promesse faite à un autre, où Y promet à X de phi-er, Y, en tant qu'il est un agent moral, peut être tenu pour responsable de la réalisation d'un état de chose phi. Nous ne concevrons pas ici la responsabilité dans sa relation à la culpabilité (Livet 2001), sinon au sens où on pourrait alors reconnaître la culpabilité de Y envers X si Y ne phi-e pas. Nous lui demanderons de fournir une clarification de l'agentivité par la détermination de ce contenu propositionnel, car il ne va pas de soi que promettre de phi-er donne la responsabilité propositionnelle de réaliser l'action de phi-er, même si c'est sans doute là la première hypothèse qu'il faille faire car elle est la plus intuitive : si, par exemple, Y promet à X de poster un courrier avant une certaine date, Y a accepté cette responsabilité par le fait même de la promesse, et il est attendu de Y qu'il réalise cet état de chose et que le courrier soit effectivement posté avant cette date. La promesse, conçue comme le fait d'accepter une responsabilité propositionnelle, fait reposer sur l'agent qui promet la responsabilité de réaliser l'état de chose auquel il s'est engagé envers celui à qui il a promis.

Or si on affirme que promettre de phi-er, c'est être tenu pour responsable que l'état de chose phi soit le cas dans le monde, c'est qu'on s'adosse à une conception de l'agentivité comme initiative. On dispose pourtant d'arguments solides pour penser que, si Y promet à X de phi-er, il ne va pas de soi que Y soit responsable, envers X, de l'effectuation de l'action de phi-er et on a de bonnes raisons de soutenir que ce n'est pas à cela qu'il s'est engagé ; on peut proposer des conceptions alternatives de ce à quoi il s'est engagé en faisant cette promesse, et ces conceptions demanderont de reformuler la responsabilité propositionnelle que donne la promesse au regard du pouvoir causal que nous attribuons à l'agentivité. Il est en effet possible d'interpréter autrement la promesse et de penser que Y s'est, par sa promesse, engagé à contribuer à la mise en place de l'action de phi-er, ou peut-être seulement à contribuer à l'obtention des conditions favorables à la réalisation de l'action de phi-er, en cela que l'action de phi-er, si elle est réussie, réalise l'état de choses phi (Ross 1939).

On a souligné la centralité de la promesse dans la vie morale, en tant qu'elle est exemplaire de ce qu'est avoir un devoir moral envers un autre (Boyer 2021) et en cela que la promesse assure l'introduction d'une responsabilité propositionnelle dans la relation entre deux agents moraux. La discussion menée par Ross des cas dans lesquels nous avons des raisons morales de ne pas phi-er alors même que nous l'avions promis demande d'examiner les situations dans lesquelles nous n'obtenons pas l'état de chose énoncé dans la promesse (Monnoyer et Langlet 2020), et fait apparaître que nous pouvons tout aussi bien en être délié, sous certaines circonstances, ou qu'il est possible de devenir responsable de l'accomplissement d'une autre action que de l'action énoncée dans la promesse. Ce sera ainsi l'occasion de comprendre sous quelles conditions nous pouvons majorer ou minorer notre responsabilité (Knobe et Nichols 2008).

Nous pourrons alors conclure que l'analyse de la responsabilité propositionnelle que donne la promesse ne permet pas de trancher en faveur de la conception de l'agentivité comme initiative, mais donne des arguments pour penser l'agentivité comme guidage, sans quoi elle fait reposer une exigence bien trop lourde sur l'agent qui a fait la promesse. La promesse de phi-er ne donne pas l'obligation de phi-er, et nous montrerons que la raison en est la structure causale de notre agentivité, entendue comme guidage : elle s'oppose à une responsabilité propositionnelle et accepte seulement une responsabilité non-propositionnelle, c'est-à-dire pour partie indéterminée.



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