30 juin-2 juil. 2025 Nantes (France)

Par auteur > Hédoin Cyril

Le rationalisme moral de Parfit en question
Yann Schmitt, Anna C. Zielinska, Antonin Broi  1@  , Cyril Hédoin, Stéphane Lemaire  2@  
1 : Wuhan University [China]
2 : Université de Rennes 1  (UR1)
Ufr de philosophie
2 rue du Thabor - CS 46510 - 35065 Rennes cedex -  France

Ce symposium d'une durée de 3 heures et porté par Yann Schmitt entend discuter de difficultés propres à la philosophie de Parfit quand il s'agit de penser l'action morale et notamment l'identité personnelle et le rationalisme moral.

Pour commencer, Cyril Hédoin examinera la compatibilité entre la théorie de l'identité personnelle et le contractualisme. Anna C. Zielinska discutera la tension entre la quête des principes moraux et le rejet de l'identité personnelle. Antonin Broi interrogera l'épistémologie normative et le rôle de l'intuition. Stéphane Lemaire examinera les raisons d'intérêt personnel et leur possible opposition à la morale. Yann Schmitt se concentrera sur la métaphysique de la vérité du cognitivisme non réaliste.

 

Cyril Hédoin. Un contrat social sans personne ? Réductionnisme psychologique révisionniste et contractualisme.

Le réductionnisme psychologique (Parfit, 1984) et le contractualisme semblent difficilement compatibles. Plusieurs thèses « extrêmes » peuvent être formulées, indiquant l'impossibilité pour les « selves » de s'engager ou d'être indemnisés. Ces thèses extrêmes semblent renforcer les théories morales conséquentialistes. Cependant deux approches différentes pouvant réconcilier le réductionnisme psychologique et le contractualisme seront explorées. La première développe l'idée d'un contrat social entre les « selves ». La seconde, la meilleure, développe une approche normative et constructiviste de la personne compatible avec le réductionnisme psychologique. Cependant, la conception de la personne qui en résulte est conforme au réductionnisme psychologique dit « conciliant », ce qui suggère que l'approche révisionniste de Parfit et le contractualisme pourraient bien être incompatibles.

 

Anna C. Zielinska. L'objectivité de quoi ? Derek Parfit et la recherche d'une théorie morale.

Parfit aurait été poursuivi par le désir de montrer que la morale sans Dieu était objective, dotée de fondements rationnels. « Il pensait réellement que s'il ne parvenait pas à le faire, son existence aurait été futile » (Edmonds 2023). Pire encore : notre vie elle-même l'aurait été également.

Cette quête de l'objectivité morale s'accompagnait de l'effacement de l'identité personnelle. D'où cette double contrainte : la recherche de ce qui est moralement objectif et le refus de donner à l'individualité humaine une place quelconque dans cette quête. L'objectivité devait donc être trouvée ailleurs dans les principes moraux. Dans les conditions idéales, pensait Parfit, nous aurions tous des croyances normatives « suffisamment similaires », nous serions guidés par les mêmes principes exposés dans une Théorie Unifiée (Parfit 2017).

Cette quête est erronée. D'abord, il y a très peu de raisons de penser que notre vie morale est, et encore qu'elle devrait être, guidée par les principes. Ensuite, le rejet de l'identité personnelle ne créé pas de vide qui devrait être rempli par une structure normative définitive, bien que l'anthropologie de Parfit semble le sous-tendre. Il s'agira de comprendre, à travers la philosophie morale de Parfit, les enjeux de la recherche de l'objectivité dans la philosophie morale et de défendre l'idée selon laquelle elle ne peut pas être comprise comme une objectivité des principes. L'objectivité requise par la quête morale est celle d'un monde partagé non pas en vertu d'une théorie unifiée, mais en vertu d'un apprentissage dynamique des éléments qui composent les fragments du monde des autres.

 

Antonin Broi. Les vérités normatives objectives existent-elles ?

Pour répondre positivement à cette question et contrer le nihilisme, Parfit adopte une stratégie prometteuse consistant à s'appuyer sur la souffrance comme ayant une valeur négative objective indubitable (On What Matters, 2011 et 2017).

Contrairement à Parfit, je soutiendrai que c'est un acte d'introspection, et non d'intuition rationnelle, qui nous donne accès aux vérités normatives concernant la souffrance. En effet, l'introspection occupe un rôle crucial dans l'épistémologie normative de la souffrance. De plus, l'introspection se suffit à elle-même et aucune mystérieuse faculté d'intuition n'est nécessaire. D'où une critique de l'épistémologie intuitionniste de Parfit et de son large périmètre des raisons normatives, grâce à une alternative hédoniste.

 

Résumé de Stéphane Lemaire. Quelle est la légitimité de l'intérêt personnel ?

Dans Les raisons et les Personnes, Parfit s'efforce de réfuter la théorie de l'intérêt personnel. Un de ses arguments souligne que nous avons des désirs altruistes. Un défenseur d'une conception subjectiviste du bien-être en termes de satisfaction des désirs pourra nier qu'il s'agit là d'un contre-exemple grâce à ce que Parfit appelle le satisfactionnisme non restreint : tous les désirs pour autant qu'ils soient satisfaits contribuent au bien-être personnel. Pour Parfit, cette position est indéfendable car elle ne permet plus de comprendre le sacrifice et l'égoïsme, mais on peut répondre à ces objections.

De plus, le satisfactionnisme non restreint a pour conséquence que la prudence et la moralité peuvent se recouvrir : réaliser ses désirs moraux peut être prudent et moral. Mais la tension ne disparaît pas pour tous car le recouvrement peut être très partiel ou inexistant, et de ce fait intuitivement critiquable. L'hypothèse que je propose est que le poids juste des considérations morales du point de vue rationnel ou moral est déterminé en fonction des individus et qu'il tient à la capacité propre à chaque individu à donner sens à son investissement moral. Cette capacité constitue une limite individuelle à ce qui est moralement exigible.

 

Yann Schmitt. Le cognitivisme réaliste est-il cohérent?

Le rationalisme moral de OWM est confronté à des problèmes relatifs à la vérité des affirmations morales et normatives. Au cognitivisme moral, Parfit ajoute que les vérités morales et normatives n'ont pas de conséquences ontologiques. Il n'y a pas de propriétés ou de faits moraux ou normatifs « queer » qui s'ajouteraient au monde naturel.

Je commencerai par examiner le concept de vérité employé par Parfit qui affirme qu'il est à comprendre en un sens fort mais n'impliquant pas nécessairement que quelque chose rend vraies les propositions vraies : le primitivisme aléthique bien compris (Merricks, 2007) peut fournir un concept de vérité pertinent en métaéthique. Ensuite, je discuterai l'affirmation quiétiste largement controversée selon laquelle de telles vérités n'ont pas de conséquences ontologiques. Parfit la défend grâce à son argument de la question peu claire qui montre que l'on peut parler de propriétés et de faits moraux ou normatifs au sein d'une stratégie de désescalade ontologique.


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